
À bicyclette, le second long métrage de l’acteur Mathias Mlekuz, à l’affiche le 15 août, raconte son voyage à vélo avec son ami Philippe Rebbot.
Qu’est-ce qui a mené au choix de ce dispositif à la frontière du documentaire et de la fiction ?
Au début, je voulais simplement partir avec Philippe faire une randonnée en vélo. C’est lui qui a eu l’idée de faire le film. On s’est alors posé la question : est-ce qu’on écrit ou on improvise ? On a décidé d'improviser. J’ai rédigé quatre pages qui s’apparentaient plus à un itinéraire avec de petites saynètes. Ensuite, on est partis et le film s’est fait par accident. Rien n’était prévu dans ce qu’on allait dire. Et on n’a jamais fait deux prises. On en faisait une seule qui durait d’une heure à une heure et demie. Puis, on n’a choisi aucun décor.
Qu’est-ce que ce dispositif a permis de révéler ?
Il y a plusieurs moments intimes entre Philippe et moi, mais je n’ai pas l’impression que c’est le film qui a révélé ça. Nos rapports ont changé, mais c’est plutôt le décès de mon fils qui en est responsable, plus que le film. On était des copains de rigolade depuis plus de vingt ans et, avec le décès de mon fils, on a commencé à pleurer ensemble. On est sortis du film avec une amitié peut-être plus dense, mais c’est plus dû au décès de Youri qu’au film.
Votre film expose, de manière assez frontale, la fragilité de deux hommes.
Le film s’est fait sans intention, si ce n’est que de filmer ce qu’on allait vivre. J’ai récolté 180 heures de rushs. Mon premier montage faisait 4 heures. Après, j’ai pris des axes, j’ai choisi des séquences. J’ai raconté notre amitié. C’est une amitié d’hommes fragiles. Ça se voit très peu au cinéma ces fameux hommes qui pleurent.
Comment se déroulait plus concrètement ce tournage improvisé ?
Comme il y avait toujours une seule prise, on avait un chef opérateur et un cadreur. Ils nous filmaient en permanence. Une caméra était sur Philippe, l’autre sur moi. Il pouvait, quand on était fixes, y avoir une troisième caméra sur un trépied. Il n’y avait qu’une seule consigne, c’était de nous filmer. Je n’ai dirigé aucun cadre. Tout était entre leurs mains. [...] On filmait toujours en lumière naturelle et sans avoir de volonté esthétique. Parfois, ça donne quelque chose de très, très beau. Comme dans la scène qui se déroule au coucher du soleil en Roumanie. On ne distingue presque plus les visages. Ça se fait rarement au cinéma.
Une place considérable est accordée à l’humour dans le film. Pourquoi est-ce important de rire quand on parle de la mort ?
Philippe est quelqu’un de très drôle, avec qui je ris beaucoup. Je savais que ça ne pouvait pas être que triste. Aussi, j’aime rire. Et on partait avec cette idée d’aller faire les clowns dans les écoles ou dans la rue, avec le chien. Ça donne des scènes burlesques comme celle de la douche ou même celle du Airbnb. Ce n’était pas une volonté de ma part, mais quelque chose de naturel, d’évident. À un moment dans le film, Philippe dit : «soyons joyeux». C’est une phrase très juste. Si on a le choix, soyons déloyaux au chagrin.
Mathias visite des églises à trois reprises dans le film. Que symbolise cette représentation de la foi ?
Je n’ai eu aucune éducation religieuse. J’ai eu à faire des deuils dans ma vie, sans le secours de l’Église. Là, avec mon fils, c’était impossible. Il fallait que je me tourne vers quelque chose. Je me suis mis à fréquenter les églises. Elles m'apportaient une forme d'apaisement. Il y avait dans la sérénité des lieux, la hauteur des plafonds, le fait d’allumer un cierge, de pouvoir m’asseoir, sans connaître aucune prière. J’étais quasiment contraint de croire en quelque chose. L’idée de l’absence définitive et complète était insupportable. Je me suis éveillé, comme ça, tout doucement. Et je suis devenu croyant.
Au début du film, Mathias mentionne que c’est quelque chose qu’il cherche à obtenir à la fin du périple : une forme d'apaisement. Est-ce que le processus du film vous a permis de la trouver ?
Non. Le tournage a été assez laborieux et assez dur physiquement et émotionnellement. Mais l’apaisement, je l’ai trouvé avec le public. Dès la première projection, la réaction du public a été très rassurante. Obnubilé par mon drame, j’avais oublié que la mort est universelle, que tout le monde peut s’identifier au deuil. Les gens pouvaient se reconnaître à travers les thèmes du film. Et à la fin de ces projections, j’ai senti ce partage d’émotion : les gens avaient besoin de me prendre dans leur bras et j’avais besoin de les prendre dans les miens. Nous tous, on avait besoin de confort et de consolation.